Juillet 2014 : Malpelo
Malpelo, l'île aux trésors
Le Yemaya au mouillage devant le rocher de Malpelo
Contrairement à ce que je pensais avant de m'y rendre, le Sanctuaire de Faune et Flore de Malpelo n’est pas seulement un haut lieu de rencontre avec les squales les plus emblématiques du Pacifique. Certes, de grands bancs de marteaux s’interposent souvent entre les plongeurs et la surface… Certes les requins Galápagos règnent partout en maître… Certes, à la saison des pluies, les soyeux arrivent par centaines… Mais au delà des squales, Malpelo est aussi le théâtre d’une autre diversité : celle des nombres infinis, celle des tailles démesurées, celle des formes, des couleurs et des espèces…
Sous l’eau, j’y ai croisé des multitudes dont je ne pouvais pas faire le tour, dont je ne pouvais pas voir tous les bords en même temps, qui masquaient la lumière du soleil. A chaque détour du rocher, j’y ai rencontré des stations de nettoyage encombrées d’opérateurs jaunes ou bleus au travail sur d’interminables files d’attentes. De chaque anfractuosité du rocher jaillissaient des rubans verts par cinq, par six, pour nager en pleine eau. Du bleu, surgissaient des escadrilles d’anges aux ailes triangulaires. Au retour à l’annexe, des géants gris de plusieurs tonnes attendaient pour nager avec nous pendant des minutes d’éternité.
En l’air dans la chaude lumière du soir, des milliers de points noirs rentraient de leur journée en mer et s’élevaient le long des falaises en tourbillons de plusieurs centaines de mètres avant d’aller se poser près des petits piailleurs attendant leur pitance. Sur terre, ça criait, ça sautait, ça grouillait, ça rampait, ça marchait sur le côté. Sur ce rocher pelé où je n’ai pas aperçu un seul brin d’herbe, une société animale multiculturelle et complémentaire s’est installée et prospère, sous l’œil indifférent de quelques militaires et celui bienveillant du rangers des Parcs Naturels Nationaux de Colombie.
Malpelo un sanctuaire de requins entourant un rocher désolé ? Oui, bien sûr, mais bien plus que cela… Venez, suivez-moi, je vais vous présenter cette ile aux multiples trésors…
Malpelo, vue du ciel (vidéo)
En route pour l'aventure
Jeudi 27 juin 2014, nous quittons l’hôtel à Panama en début de matinée. Pendant quatre heures, le confortable bus de 45 places affrété par Coïba Dive Expeditions roule vers l’Ouest. A travers la forêt primaire, nous longeons la côte Pacifique du Panama. Bientôt, les villages se font de plus en plus rares et quand nous arrivons à Puerto Mutis dans l’après midi, nous avons l’impression d’être arrivés au bout du monde. Le Yemaya est amarré dans un estuaire boueux à contre d’un vieux tas de rouille réformé. Pas vraiment une marina touristique, mais c’est tant mieux. L’endroit authentique dégage déjà un parfum d’aventure.
La "marina" de Puerto Mutis
Des éclairs illuminent la cime de la forêt équatoriale et nous rappellent que nous sommes entrés dans la saison des pluies. De chaudes averses vont nous affecter quotidiennement. Il fait 29°C et avec un taux d’humidité de près de 100%, nous avons l’impression de nous trouver dans un sauna géant. Après des formalités douanières vite expédiées, nous montons à bord du confortable Yemaya.
Une traversée sans histoire
Après une courte escale d’une journée près de l’Ile de Coïba, le MV Yemaya lève l’ancre vers 3 heures du matin et nous voilà partis pour un périple de près de vingt six heures de navigation. Le but est d’atteindre Malpelo au lever du jour et ainsi, de profiter de toute la journée pour plonger. Pendant la traversée, les quelques photographes du bord comparent leurs armes et graissent leurs joints. Pour ma part, je prépare mes caméras et vérifie méticuleusement mon drone. Si j’arrive à le faire voler et à le récupérer sans incident, je possèderai les toutes premières images aériennes de l’ile…
Pendant la traversée de Coïba à Malpelo (© Sarah Heaney)
A bord, la journée est rythmée par les repas pris en commun sur le pont supérieur, à l’abri du soleil ou de la pluie, c’est selon. Petit déjeuner froid, puis petit déjeuner chaud, déjeuner, encart, diner. Sur le Yemaya, on mange de façon permanente et en plus des viandes ou poissons quotidiens, les repas comprennent toujours des légumes frais et des salades du jour. Entre les repas, certains se réfugient dans le salon intérieur et se passent des films de plongées sur un très grand écran HD.
Dehors, le soleil est de la partie, la mer est d’huile et les miles s’égrènent lentement, au rythme de l’océan pacifique.
Des plongées sur mesures
En raison du décalage horaire, je suis sur le pont depuis 4 heures du matin et armé d’un café, j’ai rejoint Josh, notre capitaine, à la passerelle. Depuis un moment le phare de Malpelo est en vue. Nous arrivons devant le rocher un peu avant l’aube. Le Yemaya tourne en rond attendant le jour pour se mettre au mouillage. Une grande houle du Sud-Sud-Ouest bât la côte mais le bateau est stable et ne bronche pas. Plus tard, nous nous amarrerons au mouillage permanent situé au Nord-Est de l’île et le Yemaya y restera pendant tout le séjour.
Au lever du jour, Malpelo semble hostile et peut prendre des airs menaçants
Avant même que le jour ne soit complètement levé, Louis me fait signe. C’est l’heure de s’équiper. Pour ne pas interférer avec les opérations des passagers du charter, je plongerai en décalé. Pour permettre plus de flexibilité, Otmar Hanser, le patron de Coïba Dive Expeditions a prévu un troisième guide de plongée et le met à mon entière disposition ! Cela veut dire, que 3 fois par jour, je disposerai d’un guide, d’un skiff et d’un pilote et que Malpelo m’appartiendra. Louis, Sten et Erika, vont se relayer pour m’offrir l’un des plus beaux programmes sur mesures auquel j’ai eu l’occasion de participer.
Le Yemaya au mouillage au Nord-Est de l'ïle
C’est un peu comme aller au supermarché faire ses courses, et moi, gourmand comme un enfant, je pousserai mes guides à visiter plusieurs sites à chaque créneau. Conquis par notre envie d’aller à sa rencontre, l’océan va nous le rendre au centuple et nous offrir des trésors à nuls autres pareils…
Au théatre de l'Océan
Pendant que les 16 passagers se réveillent et grimpent un à un sur le pont pour découvrir Malpelo, je m’affaire en bas, sur le pont de plongées. Hors les combinaisons et les caméras, tous les blocs et les équipements sont déjà sur les skiffs et y resteront jusqu’à notre départ de Malpelo. Ainsi, l’espace est complètement dégagé. Cela facilitera notablement les séances d’habillage et les retours de plongées.
Les vérifications de mon caisson Hugyfot ne prennent qu’une minute. Une diode clignotante verte et je sais que je suis prêt à plonger, sans risque de fuite d’eau.
Pour cette première, je m’en remets entièrement à Louis qui est déjà venu très souvent à Malpelo. Il recommande la Nevera, une station de nettoyage à marteaux. Quatre minutes plus tard, nous avons rejoint notre spot situé sur le coté ouest de l’île. Il fait encore très sombre mais rien ne nous arrêtera. Mise à l’eau négative au cas ou le courant serait plus important que nous pensons. Louis a été briefé et reste derrière moi. Je ne veux pas de bulles dans mes plans séquences ou sur mes photos. L’eau en surface est à 28°C. Nous traversons rapidement la thermocline à 25 mètres. La température a baissé de quelques degrés mais ma combinaison intégrale de 3mm suffit parfaitement à me protéger. A 35 mètres nous nous calons contre la roche et attendons non sans jeter un œil à nos palmes. En effet, l’île abrite une importante colonie de murènes vertes qui passent le plus clair de leur temps à nager en pleine eau. Il y en a partout et c’est un véritable exercice d’équilibriste que de ne pas les déranger en les bousculant.
Des murènes en pleine eau, une spécialité de Malpelo
Il fait très sombre et ma caméra reste baissée. Je veux prendre contact avec l’île et m’en imprégner, repérer mes sujets avant de commencer à « shooter » à tout va… J’ai 8 jours devant moi et j’aurais du temps pour réaliser les plans que je veux.
La station de nettoyage devant nous est bien occupée. Des papillons à nez noir (Johnrandallia nigrirostris) et des demoiselles royales (Holacanthus passer) s’affairent sur des carangues arc-en-ciel (Elagatis bipinnulata) et des mérous cuir (Dermatolepis dermatolepis).
Des mérous cuirs font la queue à la "station de services"
Jaillie du bleu, une escadrille de raies aigles en formation serrée
Des raies aigles en formation serrées nous survolent. Je réfléchis qu’il y a longtemps que je n’ai vu de station de nettoyage aussi occupée quand nos premiers marteaux apparaissent. Un, puis deux puis 5. Le reste du banc est là, j’en suis sûr mais il fait tellement sombre que nous ne les apercevons pas. Un Galápagos puis deux défilent tranquillement, noblement, une nuée de carangues travaillant sur leur queue. C’est le seigneur des lieux. Puis c’est un « silky », un requin soyeux, plus nerveux, plus alerte que ses cousins. J’ai l’impression d’être au balcon, à une représentation de l’océan, et que celui-ci me présente tour à tour ses plus beaux joyaux. Pour une première, c’est une magnifique première.
Les fameux requins marteaux de Malpelo étaient au rendez-vous
Alors que nous sommes en train de remonter, la luminosité décroit encore. Nous faisons surface sous une averse torrentielle. Le ciel est noir et la visibilité ne dépasse pas quelques mètres. Heureusement, Felix notre pilote a suivi nos bulles alors que nous remontions en nageant vers le large pour éviter le ressac du bord en surface.
A Malpelo, il faut toujours tenir compte de cette météo changeante et tirer le parachute de signalisation aussi tôt que possible sous peine de ne pas être repérés en surface.
Une station de nettoyage très active (vidéo)
Une présence humaine permanente
Dès le deuxième jour, nous serons rejoint par Jaiver, un ranger affecté au Sanctuaire de Flore et Faune de Malpelo. Celui-ci passera cinq à six semaines consécutives sur l’Ile avec un petit groupe de militaires de l’Armée de Terre (Armada). La mission de Jaiver est de surveiller et de contrôler que les opérateurs commerciaux se plient bien aux règlements et aux procédures prévues par les Parcs en terme de respect de l’environnement. L’une des contraintes les plus importantes est le strict respect des calendriers d’opérations qui empêche 2 opérateurs de se trouver sur zone en même temps. Cette contrainte se révèle être dans l’absolu, une assurance de bénéficier de conditions de plongées exceptionnelles et exclusives pendant tout le séjour.
Le drapeau colombien témoin de la présence des militaires sur l'ïle
Mais Javier a également été informé de ma venue. Il sait que j’ai obtenu une autorisation de filmer et de photographier, émise par les autorités des Parcs. Il va donc m’accompagner à la fois sous l’eau et sur terre pour contrôler mon travail et s’assurer que celui-ci ne constitue pas une nuisance pour la faune locale. Jaiver saura également nous faire partager sa connaissance intime de l’histoire de Malpelo et de la biologie des animaux. Grâce à lui, nous pourrons débarquer sur l’île pour y filmer le fameux Fou de Grant (Sula granti) alors que c’est normalement interdit aux opérateurs touristiques.
Malpelo, le temple de la biodiversité
Dans les jours qui suivent, je vais découvrir Malpelo en profondeur. Je connaissais déjà le principe du « 2 tank dive ». Vous partez pour 2 plongées consécutives avant de rentrer au club. Sten va m’initier au « 3 dive tank ». Vous faites 3 sites avec la même bouteille… C’est une façon originale d’optimiser la gestion de son air et d’optimiser chaque plongée si l’espèce recherchée n’est pas au rendez-vous. Dans ce cas, on remonte et sans même se déséquiper, notre pilote nous emmène sur un autre site à quelques minutes du précédent. Du coup, les immersions s’enchainent et j’ai du mal à garder le fil de toutes nos rencontres.
Un étonnant rassemblement de Carangues gros yeux (vidéo)
Tour a tour nous découvrirons «Los tres mosqueteros», et « d’Artagnan » où des milliers de carangues gros yeux (Caranx sexfasciatus) se rassemblent dans une immense boule. Le soir venu, elles se sépareront pour aller chasser. Il faut que je demande à mes deux accompagnateurs de venir dans le champ de mon objectif pour mieux me rendre compte de la taille exceptionnelle de cette masse compacte.
Un grand rassemblement de Carangues gros-yeux
Puis, c’est une toute autre espèce que nous repérons à « Aquario » : des vivaneaux radis (Lutjanus aratus), gros poissons de près d’un mètre et de plus de 15 kilos se sont rassemblés dans un banc qui dépasse en taille tout ce que j’ai déjà vu. Parti de la surface, j’essaie de passer dessous pour faire une photo en contre plongée, mais vers 40 mètres, force est de constater qu’il y a toujours beaucoup de poissons plus bas que moi et mon mélange Nitrox 32 ne me permet pas de continuer à descendre. Ce banc est capable d’obscurcir la lumière du jour et de troubler l’eau tant sa densité et la quantité des déjections sont importantes… Incroyable ! Inimaginable ! Sans compter qu’il sera très vite rejoint par un autre banc comptant plusieurs milliers de bonites du pacifique oriental (Sarda chiliensis).
Des centaines de milliers de Vivaneaux radis
Nous avons passé tellement de temps avec cette boule gigantesque, à toutes profondeurs, que nous atteignons notre réserve d’air et entamons la remontée. Soudain, une ombre gigantesque masque la lumière du soleil. Un requin baleine de plus de 10 mètres vient de passer juste au dessus de ma tête, direction les vivaneaux. L’animal semble ouvrir la bouche et ingurgiter les déjections du banc. Nous nous lançons à sa poursuite à grands coups de palmes. Mais le flegmatique animal d’un coup de queue nonchalant disparaît dans l’eau trouble. Soudain, il sort de l’ombre et nage dans notre direction.
Un requin baleine se nourrit des déjections d'un banc de vivaneaux radis (vidéo)
A Malpelo, les requins baleines sont curieux et familiers
Curieux, il va rester avec nous pendant plus d’un quart d’heure, puis nous accompagner jusqu’au skiff autour duquel il évoluera encore pendant de longues minutes même après que nous soyons remontés à bord. C’est la première fois que j’observe ce comportement chez un requin baleine, habituellement totalement indifférent aux nageurs qui l’entourent. Ce ne sera pas la seule fois. Plus tard, un autre spécimen tournera autour du Yemaya, nageant de plongeur en plongeur pendant une bonne vingtaine de minutes et ne disparaitra que quand le dernier d’entre nous sera remonté à bord.
Des requins baleines au comportement unique au monde ! (vidéo)
A « La cara de fantasma », nous découvrons un banc constitué de centaines de barracudas. Le banc évolue en surface ou l’eau est plus claire et je demande à mes deux compagnons Sten et Jaiver de nager vers lui. Totalement sauvages, les créatures marines de Malpelo ne sont pas effarouchées par la présence des plongeurs qui peuvent les approcher en toute quiétude. Cela donne lieu à de merveilleuses rencontres et de bien belles photos et séquences vidéo.
Un banc de barracudas évolue près de la surface
En sortant de l’eau, j’ai du mal à faire le bilan des plongées tant elles sont denses et variées. Une fois à bord du Yemaya et l’excitation retombée, il faudra que je me raccroche à mes photos et mes vidéos pour pouvoir me remémorer la chronologie des évènements et me persuader que je ne les ai pas purement imaginés. Mais dans les jours qui suivront, les plongées seront toutes aussi riches et passionnantes et confirmeront que Malpelo est bien l’un des temples mondiaux de la biodiversité sous-marine.
Un banc de barracudas : harmonie et beauté à faible profondeur (vidéo)
Le "monstre" de Malpelo
Malpelo a souvent été le théâtre d’une observation très singulière. Dans ces eaux, à des profondeurs assez importantes vit un gros requin très mal connu : le « Requin féroce » (Odontaspis ferox). Il remonte très rarement dans la zone des 40 - 60 mètres. Si de nombreux spécimens ont été retrouvés morts, échoués sur des plages ou dans les filets de pécheurs, le « ferox » ne se laisse pas souvent approcher en plongée.

Le « Requin féroce » (Odontaspis ferox) © Parcs Nationaux Naturels de Colombie
Mais à Malpelo, quelques plongeurs chanceux ont pu le rencontrer sur le site de « Bajo del monstruo » ou très occasionnellement à « Cara de fantasma ». Il apparaît de préférence l’hiver, à la saison sèche quand l’eau est plus froide, mais il n’y a pas de règle formelle et il a aussi été aperçu en été pendant la saison humide. Erika, mon guide colombien, va m’accompagner pour ces trois derniers jours de plongées et je veux mettre toutes les chances de mon coté pour dénicher le « monstre ».
Pour réduire les risques d’accidents de plongée, le Nitrox est obligatoire pour les plongées loisirs à Malpelo. Mais je ne suis pas en vacances ! Et pour les trois derniers jours du tournage, la première plongée du matin se fera à l’air. Cela nous permettra de nous positionner vers 45 mètres de profondeur, dos contre le piton rocheux et tournés vers un talweg de sable qui descend très rapidement au delà des 80 mètres. Si le « ferox » apparaît plus bas, nous pourrons aller à sa rencontre… Dans le cas contraire, nous ne descendrons pas au dessous de la zone des 50 mètres. Jaiver, quant à lui, plonge en Nitrox. Il restera au dessus de nous à la limite autorisée par son mélange du jour.
A 7 heures du matin la lumière est vraiment faible mais avec mes deux Sola de Light & Motion, j’emmène 8000 lumens de lumière. Cela devrait suffire si le monstre approche à courte distance. Et mes deux Inon Z240 devraient faire l’affaire pour les photos. Dans l’obscurité, nous attendons. De temps en temps, je jette un œil sur Javier qui se détache en ombre chinoise quelques mètres au dessus de nous. Un petit signe conventionnel de la main et je sais que tout va bien pour lui aussi.
Les minutes de palier commencent à s’accumuler. Je reste serein. La haut, Felix a immergé une bouteille de Nitrox de sécurité à 6 m. Nous ne manquerons pas d’air, quoiqu’il arrive. Erika et moi gardons les yeux écarquillés vers le fond. Soudain, à la limite de la visibilité, un gros requin apparaît. L’océan marque une pose. Mon cœur aussi ! J’arrête de respirer alors que l’animal nage majestueusement vers nous… Il est gros, mais pas autant que je le pensais… Plus l’animal se rapproche et plus j’ai de doutes...
Soudain, à la limite de la visibilité, un gros requin apparaît...
Mais non, bien sur. C’est un Galápagos qui curieux, vient nous rendre visite. Il passera plusieurs minutes avec nous avant de disparaître à nouveau dans l’obscurité de l’océan. Malgré toute notre bonne volonté, et de longues minutes d’attente et de palier, le ferox ne se montrera pas.
L'océan, un espace de liberté
Pendant trois jours, nous allons revivre la scène plusieurs fois. Toujours avec le même résultat. Mais je ne suis ni frustré, ni amer. Je sais que l’Océan n’est pas une salle de cinéma. Ce n’est pas un zoo. C’est un espace ouvert sans frontière, sans barrière dont les habitants vont et viennent en totale liberté. Certaines fois, ils s’offrent à vous. En d’autres occasions comme celle-ci, ils décident de ne pas le faire. Avec l’océan, il vaut toujours mieux faire preuve de patience, d’humilité et… de philosophie !
Des "bait-balls" comme en Afrique du Sud
Je ne voudrais pas vous laisser penser qu’il y a peu de requins à Malpelo. Lisez plutôt ce qui suit.
En milieu de semaine, une grande houle du pacifique arrive par le Sud et nous interdit les sites les plus exposés. Heureusement, il y a toujours un coté abrité à Malpelo. Après l’une de nos plongées, nous sortons de l’eau à « la Nevera » et Sten, pris d’un pressentiment, demande à Félix de rentrer en passant par le Sud, le coté exposé à la houle. Celle-ci piégée entre les ilots de « La Gringa » et de « Scuba » crée de véritables tsunamis s’élevant à une bonne douzaine de mètres avant de déferler et d’exploser contre la paroi rocheuse verticale de Malpelo. Alors que nous passons au large, nous apercevons des dizaines d’oiseaux à l’horizon. Une « bait ball » !!! Mais l’activité n’est pas fébrile et beaucoup d’oiseaux sont déjà posés sur l’eau.
Qu’à cela ne tienne ! Nous allons voir quand même. Félix met le cap sur les oiseaux pendant que Sten et moi enfilons masques et palmes, nos gilets stabilisateurs devenus inutiles faute d’air dans nos bouteilles... une fois de plus ! Bascule arrière et nous nous trouvons face à des centaines de requins soyeux et quelques requins à pointes noires plus massifs… Il y en a partout : à droite, à gauche, dessous…
Les soyeux arrivent avec la saison des pluies et se nourissent sur des "bait balls"
On aperçoit aussi des carangues arc-en-ciel et quelques thons qui ont probablement dû participer au festin. Réduite à quelques dizaines d’individus, la boule de poissons tente d’échapper aux derniers prédateurs actifs. Dans un ultime reflexe de survie, pensant se mettre à l’abri, elle fonce sur nous et nous entoure. Le meilleur moyen d’être mordu accidentellement est de s’interposer entre les squales et leurs proies habituelles. Courage, fuyons ! Prenant nos palmes à notre cou, Sten et moi tentons de nous écarter mais il nous faudra plusieurs tentatives pour distancer les poissons paniqués et profiter du spectacle qui en est malheureusement au dernier acte. Il est temps de rentrer à bord et de laisser le skif aux clients du Yemaya, très déçus d’apprendre que la représentation est terminée.
Des Marteaux à Malpelo ?
Dans l’après midi, nous tentons notre chance à « El Bajon » un site plus profond – vers 36 mètres - fréquenté par des requins Galapagos. Bien nous en a pris… 7 ou 8 gros spécimens sont attirés par le bruit d’une bouteille d’eau en plastique écrasée entre les mains expertes de Sten. Ils ne s’éloignent jamais de plus de 10 à 12 mètres de nous. Moi je suis au balcon et je filme sans voir le temps passer. Mais bientôt mon ordinateur me rappelle que je ne suis pas un poisson et les minutes de palier commencent à s’accumuler. On ne pourra pas rester beaucoup plus longtemps au fond… Nous décidons donc de remonter et de faire un autre site moins profond. Il me reste 1200 psi, c’est plus que suffisant.
Va pour la Nevera et sa station de nettoyage à 15 mètres. Quelques minutes plus tard, je suis de nouveau installé face au bleu, affairé à filmer des Carangues arc-en-ciel en plein nettoyage quand un marteau apparaît à la périphérie de mon champ de vision et passe deux mètres devant moi. On vous a toujours dit qu’il ne faut pas retenir sa respiration en plongée ? C’est pourtant ce que je fais. A défaut, mon marteau détalerait sans crier gare!
Des marteaux par dizaines évoluent à quelques mètres des plongeurs
Bientôt, il est rejoint par un deuxième, puis 2, puis 5, puis une bonne dizaine d’entre eux. Malgré la faible profondeur l’azote s’accumule et je recommence à prendre des minutes de palier. Il ne faut pas trop jouer… Le premier caisson est à plus de 48 heures de mer ! Autrement dit, il n’y a pas de caisson disponible en cas d’accident grave, et de toutes façons, je ne veux pas risquer de compromettre le séjour des clients du Yemaya ; à contrecœur, nous lâchons notre tombant et commençons à palmer vers le large en remontant, accompagnés par plusieurs dizaines de requins marteaux qui nous entourent… Un spectacle inoubliable même pour les plus blasés, et ce n’est certainement pas mon cas !
Remerciements
Les conditions dans lesquelles s’est déroulé ce tournage en ont fait l’une de mes plus extraordinaires expéditions plongées. Je tiens tout particulièrement à remercier :
- Otmar Hanser, le patron de Coïba Dive Expéditions qui a pris en charge la totalité de mon séjour à bord du Yemaya.
- Louis, Erika et Sten mes trois guides de plongées ainsi qu’au capitaine et aux membres du Yemaya, qui se sont tous pliés en quatre pour me permettre de faire les images et les interviews que je désirais.
- Mon partenaire H2o voyage qui a bien voulu financer la partie vols et fret de l’expédition.
- Sandra Besudo et les membres de la Fondation Malpelo qui m’ont aidé pour les formalités d’obtention des permis de filmer et de photographier ainsi que la direction des Parcs Nationaux Naturels de Colombie qui me les a accordés.
- Mes partenaires de la première heure Aqualung, Plongimage, DivePhotolight, Hugyfot, et Light & Motion.
Vous voulez en savoir plus.....
Encart : l’île de Malpelo
A partir de 1494, Malpelo appartient tour à tour à l’Espagne, puis au Pérou. C’est en 1810 que la Colombie en revendique la souveraineté qui s’exercera de façon permanente jusqu’à une distance de 12 miles nautiques et sur une zone économique adjacente jusqu’à une distance de 200 miles nautiques du rocher. C’est grâce à Malpelo que la Colombie à une frontière commune avec le Costa Rica.

© Parcs Nationaux Naturels de Colombie
L’île est située à près de 500 kilomètres à l’Ouest de Buenaventura sur la côte pacifique de la Colombie. C’est le sommet d'une crête volcanique sous-marine, émergeant verticalement depuis une profondeur de 4000 mètres. Cette crête appelée « Malpelo Ridge » s'étend du nord au sud sur 150 miles en longueur et 50 miles en largeur. Sa hauteur maximale est de 300 mètres au dessus du niveau de la mer.
Malpelo subit deux période météorologiques distinctes : la saison sèche de janvier à avril et la saison des pluies de mai à décembre. Les températures moyennes de l’air et de l’eau en surface sont de 27°C avec une thermocline variant d’une profondeur de 20 à 40 mètres en fonction de la saison.
L’île ne possède pas de source d’eau potable mais les pics rocheux agissent comme de véritables condensateurs et l’eau douce ruisselle en permanence le long de ses flancs. Elle permet dans certains endroits de l’île, l’émergence d’une flore rudimentaire composée d’algues, de mousses, de lichens, de graminées et de fougères.
Malgré son isolement et la distance importante de toute autre terre, la vie animale s’y est développée avec un certain nombre d’espèces endémiques de crabes et de reptiles et de nombreuses espèces d’oiseaux marins. Parmi ceux-ci, c’est le fameux Fou de Grant (Sula granti) qu’on retrouve en plus grand nombre avec une colonie permanente dépassant les cent mille individus. Le couple n’étant capable de nourrir qu’un petit à la fois, pond pourtant 2 œufs à quelques jours d’intervalle.
Un couple de Fous de Grant (Sula granti)
Si le premier juvénile survit, il se débarrassera rapidement de son cadet. Dans le cas contraire, celui-ci aura des chances de voir le jour et d’arriver à l’âge adulte… Dure loi de la nature mais sacrifice nécessaire à la perpétuation de l’espèce!
Les fous de Grant et le Yemaya en arrière plan (vidéo)
En juillet 2006, l'île est devenue l'un des sites naturels inscrit au patrimoine de l'humanité par l'UNESCO.
Encart : la pêche illégale, fléau des parcs marins
Fort de sa réputation mondiale, le sanctuaire de Malpelo n’échappe pas à la convoitise et à la cupidité de trusts organisés autour du commerce des ailerons de requins.
Le modus operandi est toujours le même. En provenance du Panama, d’Equateur, du Costa Rica ou même de Colombie, un bateau usine remorque plusieurs barques de 6 à 7 mètres de long transportant les palangres. Sans le remorqueur, les barques seraient incapables d’effectuer la traversée. A la limite des eaux territoriales, le remorqueur stoppe ses machines et les palangriers continuent. Ils opèrent de nuit, pour tenter de ne pas attirer l’attention des militaires et des opérateurs touristiques. Les palangres de plusieurs kilomètres de long sont largués en début de soirée et relevés à l’aube. Sans même qu’ils soient déjà morts, les requins sont débarrassés de leur ailerons et leurs corps mutilés rejetés à la mer. Les ailerons seront plus tard transbordés sur le bateau usine où le séchage pourra commencer. Mais les requins ne sont pas les seuls à souffrir de cette pêche non sélective. Les raies mantas, les dauphins, les tortues et autres espadons, sont rejetés à l’eau, morts le plus souvent, si leur valeur commerciale n’est pas significative en regard de la valeur des ailerons de requins qui peuvent se vendre plusieurs centaines de dollars le kilo sur le marché chinois.

© Parcs Nationaux Naturels de Colombie
Dans la lutte contre la pêche illégale, les militaires et les rangers de l’île (impuissants puisqu’ils n’ont pas de bateau) se sont alliés aux opérateurs touristiques comme le Yemaya de Coïba Dive Expeditions. Quand des pêcheurs sont repérés, les skifs des opérateurs vont chercher les militaires armés et interviennent pour intercepter les palangriers et saisir leurs lignes.

© Parcs Nationaux Naturels de Colombie
Malheureusement, la loi colombienne en l'état ne permet pas à ces personnels d’interpeler les auteurs de ces méfaits qu’ils doivent laisser filer après avoir procédé aux vérifications d’usage et saisi le matériel de pêche. Le bateau usine reste quant à lui toujours hors de portée.
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